CEI: Laurent Gbagbo doit-il être réinscrit sur la liste électorale ?
La situation juridique de l’ancien président Laurent Gbagbo est l’un des sujets phares évoqués par la presse ivoirienne ce week-end. Face aux députés, mercredi 8 octobre 2024, le président de la Commission électorale indépendante (CEI) a expliqué que la situation actuelle de l'ex-président l'élimine de facto de la course à la présidentielle de 2025. En revanche, Katinan Koné, l'un des thuriféraires de l'ex-président Laurent Gbagbo rétorque qu'il n'aura pas d'élections en 2025 sans Laurent Gbagbo car ''la candidature du président Laurent Gbagbo est non négociable'', peut-on lire sur la manchette du quotidien Le Nouveau Réveil.
Comme on le voit, l’épineuse question de l’inscription de Laurent Gbagbo sur la liste électorale ressurgit comme un enjeu majeur en Côte d’Ivoire. Depuis sa radiation, à la suite de sa condamnation pour le braquage de la BCEAO lors de la crise post-électorale de 2010, le débat demeure. D’un côté, ses partisans, notamment le PPA-CI, insistent sur sa réinscription, arguant de l’iniquité de la mesure. De l’autre, certains estiment qu’il ne remplit plus les critères légaux pour figurer sur cette liste, notamment en raison de ses démêlés judiciaires. Analysons ensemble les avantages et les risques d’une éventuelle réinscription de Laurent sur la liste électorale.
Nous allons aller du plus simple au plus complexe. Les arguments pour l’inscription de Laurent Gbagbo sont nombreux.
1. Un symbole de réconciliation nationale
L'inscription de Laurent Gbagbo sur la liste électorale serait un geste fort pour la réconciliation en Côte d'Ivoire. Après une décennie de tensions et de fractures politiques, permettre à l’ancien président Laurent Gbagbo de jouir à nouveau de ses droits civiques pourrait, estiment ses partisans, apaiser une partie de la population qui se sent encore marginalisée. De plus, ils ajoutent que Laurent Gbagbo a été acquitté par la Cour pénale internationale (CPI). Ce qui est perçu depuis comme une validation morale de son retour dans l'arène politique.
2. Rétablir l'équité démocratique
En outre, les défenseurs du Christ de Mama voient l’exclusion de leur mentor du processus électoral comme une injustice. En tant qu’homme politique influent, il a le droit de participer aux débats politiques et de se soumettre à l’approbation du peuple, à l'instar d'autres acteurs politiques qui ont pu bénéficier de lois d'amnistie ou de réhabilitations. Ne pas l’inscrire pourrait être perçu comme une manipulation des règles pour exclure un adversaire gênant dans la course à la présidentielle de 2025.
3. Prévenir l’explosion sociale
Le PPA-CI, principal parti d’opposition dirigé par Laurent Gbagbo, a montré une grande mobilisation populaire au cours des dernières sorties de son mentor à Agbovillle, à Bouaké ou à Guiglo. Empêcher leur leader charismatique de se présenter ou de participer au processus électoral pourrait provoquer des tensions et des manifestations dans certaines parties du pays encore attachées à la cause du PPA-CI. En outre, ce parti essaie de se reconstituer avec Pascal Affi N'guessan qui veut fondre le Front populaire ivoirien (FPI) dans le PPA-CI. Le pays a encore les cicatrices des crises passées, et exclure Gbagbo pourrait être le déclencheur de nouvelles instabilités, craignent des observateurs avertis du marigot politique ivoirien.
A contrario, l'on enregistre des arguments contre l’inscription de Laurent Gbagbo sur la liste électorale. Citant le philosophe grec de l'Antiquité Aristote, les partisans de Ouattara estiment que '' entre deux mots, il faut choisir le moindre mal''. Et ce moindre mal, à les entendre, serait le rejet de la candidature de Laurent Gbagbo conformément à la loi.
1. Respecter la loi et les institutions
''Dura l'ex sed lex'', disent les latins. La loi est dure, mais c'est la loi. Et il faut la respecter, soutiennent les partisans de Ouattara. A les entendre, ce n'est pas la première fois en application de la loi que la candidature d'un leader politique a été rejetée en Côte d'Ivoire. Alassane Ouattara Ouattara, Henri Konan Bédié, Laurent Gbagbo lui-même ont vu leurs candidatures aux élections présidentielles rejetées respectivement en 2000 pour les deux premiers et en 2020 pour Laurent Gbagbo. Et le ciel n'est pas tombé sur la terre. Les élections ont bel et bien lieu. Guillaume Soro a vu sa candidature rejetée en 2020, il n'eût rien.
Pour les partisans du rejet, la radiation de Gbagbo de la liste électorale est une conséquence légale de sa condamnation en Côte d'Ivoire. Même s’il a été acquitté par la CPI, les charges domestiques, notamment celles liées au braquage de la Bceao, sont encore valides aux yeux de la justice ivoirienne. Le principe de l’État de droit implique que nul ne doit être au-dessus de la loi, pas même un ancien chef d’État. Autoriser son inscription pourrait être perçu comme une instrumentalisation des institutions au profit de certains acteurs politiques.
2. Prévenir la polarisation
La figure de Laurent Gbagbo reste extrêmement polarisante en Côte d’Ivoire. Si une partie de la population voit en lui un héros, une autre considère qu’il est responsable des violences post-électorales de 2010. Sa réinscription pourrait raviver des blessures anciennes et approfondir les divisions au sein du pays. Le risque est de relancer des tensions entre les partisans et les détracteurs de l'ancien président, ce qui pourrait déstabiliser la scène politique à nouveau.
3. Envoyer un signal de renouveau politique
La Côte d'Ivoire a besoin d'une nouvelle génération politique, loin des figures marquantes des crises passées. L’inscription de Laurent Gbagbo sur la liste électorale pourrait être perçue comme un retour en arrière, plutôt qu’un pas vers le renouveau. Encourager une nouvelle classe politique à émerger pourrait être plus bénéfique pour la démocratie ivoirienne à long terme, et ce, sans s’enliser dans les querelles et les conflits des décennies précédentes.
Pour clore, nous sommes dans un dilemme complexe. La question de l’inscription de Laurent Gbagbo sur la liste électorale divise profondément la société ivoirienne comme nous venons de l'exposer. D’un côté, il y a la volonté de promouvoir la réconciliation et l’équité, en accordant à Gbagbo la possibilité de participer aux élections. D’un autre, il y a la nécessité de respecter les lois en vigueur et d’éviter la polarisation du débat politique.
Il est clair que le choix, quel qu’il soit, devra être géré avec délicatesse afin de préserver la stabilité du pays et de ne pas replonger la Côte d'Ivoire dans les affres de divisions politiques violentes. Aristote a prévenu: ''Entre deux maux, il faut choisir le moindre mal''.
Alla Kouamé
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