Afrique de l’Ouest : les saisies de drogue, la partie émergée de « l’iceberg de la cocaïne »
Le directeur de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) a mis en garde les ministres des gouvernements ouest-africains contre le pouvoir corruptif du trafic de drogue, rappelant que celui-ci « pervert[issait] les économies faibles » et compromettait les élites politiques.
Antonio Costa, directeur exécutif de l’ONUDC, a déclaré aux participants à une conférence ministérielle organisée au Cap-Vert, qui s’achève le 29 octobre, que le trafic de drogue menaçait la santé et la sécurité publiques.
Le trafic de « cocaïne jette de l’huile sur un feu déjà prêt à s’embraser, et les répercussions sont réelles en termes de sécurité », ont écrit les auteurs d’un rapport de l’ONUDC publié le 28 octobre sur le trafic de drogue et la sécurité en Afrique de l’Ouest.
D’après les données d’Interpol, organisation internationale de police sise en France, les Nations Unies estiment qu’environ 50 tonnes de cocaïne d’une valeur de 1,8 milliard de dollars circulent illégalement via l’Afrique de l’Ouest et jusqu’en Europe, chaque année.
L’ONUDC associe ce trafic à une recrudescence de la violence, à la contrebande des armes de petit calibre, et à une hausse progressive de la criminalité et de la perception de corruption dans les pays touchés d’Afrique de l’Ouest.
La plupart des drogues sont arrivées en Afrique de l’Ouest depuis 2004, via la Guinée-Bissau ou près du Ghana par voie maritime, ou ont été saisies au Sénégal, au Nigeria, au Mali ou en Guinée, à bord d’avions commerciaux, selon le rapport des Nations Unies, intitulé « Drug Trafficking as a Security Threat in West Africa »( Le Trafic de drogue comme menace à la sécurité en Afrique de l’Ouest).
Argent sale
Depuis quelques années, certains pays à court de liquidités regorgent de devises étrangères, qui proviendraient du trafic de drogue, selon le Groupe inter-gouvernemental d’action contre le blanchiment d’argent (GIABA), un organisme ouest-africain.
La Guinée-Bissau a reçu 42 millions de dollars d’investissements étrangers en 2006, soit un sixième de son budget total, selon les Nations Unies. En six ans, les investissements étrangers en Guinée voisine ont également été multipliés par 10. Les deux pays ont été qualifiés de plates-formes du trafic de drogue à la fois par Interpol et les Nations Unies.
En plus de ces opérations de blanchiment présumées, Stephen Brown, directeur de l’unité d’enquête d’Interpol sur les stupéfiants, a expliqué à IRIN qu’une économie parallèle légitime s’était créée pour soutenir le trafic.
« Cette économie tout à fait légale permet de satisfaire aux exigences des trafiquants », a-t-il indiqué. « Des fabricants de ruban adhésif, qui répondent aux besoins incessants liés à l’emballage de la drogue. Les gens qui travaillent dans ces industries et voient leurs revenus grimper seront de nouveau fauchés si nous parvenons à mettre fin aux opérations des trafiquants. Nous avons vu ces gens se livrer à des activités illégales pour conserver leurs revenus, gonflés par la drogue ».
Au Cap-Vert
Selon les experts, le Cap-Vert, pays d’accueil de la conférence, manifeste de plus en plus de signes des effets destructeurs du trafic, bien que le gouvernement déploie davantage d’efforts, depuis quatre ans, pour lutter contre ce phénomène.
Josep Coll, ambassadeur de l’Union européenne au Cap-Vert, a expliqué à IRIN que le pays, réputé pour sa bonne gouvernance, risquait de tomber de son piédestal si le trafic n’était pas maîtrisé. « Le Cap-Vert est confronté à une situation difficile car les trafiquants de drogue sont déjà en train de compromettre les forces fondamentales de la bonne gouvernance et la capacité de l’Etat à se développer durablement ».
Selon le nouveau rapport des Nations Unies, la plupart des passeurs (les « mules », qui ingèrent la drogue ou la dissimulent sur leur propre personne ou dans leur bagage) arrêtés au Portugal, ancienne puissance coloniale, en 2007, étaient capverdiens.
Marisa Morais, ministre capverdienne de la Justice, a déclaré à IRIN que le gouvernement agissait aussi rapidement que possible pour contenir cette menace.
« Lutter contre le blanchiment d’argent est la meilleure méthode que le gouvernement puisse employer pour couper les flux de fonds des trafiquants », a-t-elle expliqué à IRIN.
Toutefois, selon M. Brown d’Interpol, les réformes juridiques interviennent souvent trop tard pour maîtriser les dégâts causés par le trafic : « [Les trafiquants] de drogue sont comme une armée de fourmis. Une fois que vous dressez la barricade, il est trop tard ».
Mais les gouvernements doivent tout de même réagir, a-t-il néanmoins estimé, pour éviter que les barons de la drogue n’acquièrent trop de pouvoir.
« Non, nous ne pouvons pas mettre fin au trafic. Mais nous pouvons le perturber. Oui, cela finira par se passer ailleurs, mais ce n’est pas une raison pour abandonner. Même si en empêchant un meurtre, on ne les empêche pas tous, c’est tout de même une vie que l’on sauve ».
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