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RDC : pourquoi les inondations dans le Sud-Kivu sont-elles si meurtrières ?

Innondations RDC
Des survivants marchent à proximité de bâtiments détruits après les inondations dans le village de Nyamukubi, dans la province du Sud Kivu, le 8 mai 2023. AP Photo/Justin Kabumba


De fortes inondations ont dévasté la province du Sud-Kivu, dans l’est de la République démocratique du Congo. Plus de 400 morts sont à déplorer et des centaines de personnes sont toujours portées disparues. Ce nombre important de victimes s'explique notamment par le réchauffement climatique mais aussi par le contexte historique dans la région.

Lorsque les rivières Nyamukubi et Chishova, dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC) ont débordé, elles ont tout emporté sur leur passage. Cela est dû aux fortes pluies qui sont tombées sur la région le 4 mai 2023. Officiellement, le bilan est de 401 morts, notamment dans les villages de Nyamukubi et Bushushu. Ce chiffre devrait vite grimper car un nombre inconnu de personnes sont portées disparues et des survivants blessés ont été pris en charge à l’hôpital.

Après le passage des eaux, des survivants racontent des scènes apocalyptiques, “la fin du monde”, avec des familles entières emportées et tous les biens disparus dans les eaux boueuses. "Je suis motard. J'étais rentré du travail, j'ai déposé ma moto à la maison et je suis sorti voir des amis. À mon retour, ma maison, ma moto et les membres de ma famille avaient disparu", témoigne Roger Bahavu, père de sept enfants. Tous sont morts, leur mère aussi et leur grand-mère. "Sur onze personnes dans la famille, nous ne sommes plus que deux", lâche tristement le père de famille, qui espère retrouver les corps des siens.

Une vulnérabilité liée à l’histoire de la région
Selon les experts, les intempéries extrêmes sont de plus en plus fréquentes dans la région en raison du changement climatique. Josue Aruna, président de la société civile environnementale dans la province du Sud-Kivu précise que la région touchée par les inondations est une zone vulnérable. Cette vulnérabilité a une explication historique.

En 1994, suite au génocide perpétré contre les Tutsi, des milliers de Rwandais en majorité Hutu partent du Rwanda et s'installent en RDC. “La première chose que ces populations ont faite, c’est de couper du bois pour répondre à leurs besoins de première nécessité, détaille Josue Aruna. Le commerce de la braise et du bois pour la zone est devenu un véritable business. C’est ce qui a fait que la zone a perdu son couvert végétal.”

“Comme les collines ont été dévégétalisées, l’eau peut couler plus facilement des collines, renchérit Tyson Idumbo, porte-parole du gouvernement de la province du Sud-Kivu. S’il y avait du bois sur ces collines-là, je pense que l’eau ne coulerait pas aussi rapidement.” “Ces inondations témoignent du changement de la dynamique de l’écosystème, qui était une zone forestière”, ajoute Josue Aruna. Selon lui, “des situations pareilles devraient quand même réveiller la volonté politique des autorités, tant provinciales que nationales.”

Une action insuffisante ?
Josue Aruna estime qu’“on ne prend pas en compte le secteur de la protection de l’environnement”. “On constate que la province est en train d’abandonner la ligne droite de considérer l’environnement comme priorité dans l’action du gouvernement”, déplore-t-il. “Nous pensons que ce relâchement des priorités nous poussera toujours à connaître des catastrophes plus importantes que celles que nous connaissons aujourd’hui.”

Selon Typson Idumbo, la mise en place d’une vraie politique de gestion des catastrophes environnementale se heurte à plusieurs obstacles. “Par moment, il y a des instabilités politiques, rappelle le porte-parole du gouvernement provincial. Plutôt que d’avoir le temps de réfléchir ou d’anticiper ce genre de situations, on fait face à des velléités guerrières et ça ne permet pas aux autorités de bien planifier.”

Il regrette également un manque de moyens, qu’il considère comme “dérisoires par rapport au niveau de la catastrophe.” Par ailleurs, Typson Idumbo déplore que des études scientifiques soient faites mais “remises ensuite aux ONG, et pas forcément au gouvernement.” Selon lui, “Il faut toujours amener les résultats de ces études scientifiques auprès des gouvernants pour leur permettre de capitaliser les résultats de ces recherches aux profits et aux bénéfices de la population.”

De son côté, Josue Aruna estime que ces critiques constituent “un manque de volonté en termes de responsabilité de l’État.” “L’instabilité politique n’empêche pas le gouvernement de prendre une décision pour orienter sa politique”, selon lui. Pour lui, “la province doit orienter son action au niveau des entités territoriales décentralisées.”

Le président de la société civile environnementale dans la province du Sud-Kivu estime aussi que “le gouvernement tant provincial que national ne donne pas les moyens aux scientifiques pour essayer de prédire les situations et de faire des études.” “Nous sommes dans un régime où on promet beaucoup mais on ne réalise peu, considère-t-il. Un plan de contingence en matière de restauration de cette zone devrait attirer l’attention du gouvernement national pour essayer de restaurer cette zone dégradée.”

Quelle réponse apporter à ces inondations ?
“Après les premières urgences, qui consistaient en l’enterrement des victimes et à l’approvisionnement en vivres de tous les sinistrés, nous avons compris que comme on est encore dans la période des pluies, cette catastrophe peut se reproduire”, explique Typson Idumbo. Pour cette raison, le gouvernement provincial a fait le choix de délocaliser la population sinistrée dans un petit aérodrome, “afin qu’ils soient hors de danger”, poursuit le porte-parole du gouvernement provincial. “Plus tard, il faudra mener des études approfondies et avoir des discussions avec les propriétaires terriens pour voir comment délocaliser ces villages et éviter à l’avenir d’autres situations similaires”, déclare-t-il.

Josue Aruna est quelque peu sceptique face à cette possibilité. “La relocalisation devrait être accompagnée par des études scientifiques sur les zones concernées”, estime-t-il. Selon Greenpeace Afrique, de telles catastrophes révèlent "la nécessité pour les autorités de travailler sur un plan national d'aménagement du territoire, avec un accent particulier sur les risques d'inondations dans certains endroits du pays”.

L’ONG de défense de l’environnement estime que "ces inondations sont l'un des signes forts que le changement climatique est une réalité et nécessite une action urgente des dirigeants du monde". Pour Josue Aruna, “tant que le gouvernement congolais n’aura pas mis l’accent sur la question de coordonner la lutte contre le changement climatique, la situation n’évoluera pas.”

TV5

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