L’agonie du quatrième pouvoir est commencée (Stéphane Lacroix)
Les journalistes et les propriétaires des médias ont passé un dur moment la semaine dernière. Deux tristes nouvelles sont venues raviver leurs craintes quant à l’avenir de leur profession.
La première est que Facebook a finalement mis sa menace à exécution en ne donnant plus accès aux nouvelles canadiennes. La deuxième est que le journal Métro fermait ses portes, comme prévu.
J’écris « comme prévu » parce que dans une vie professionnelle antérieure j’ai donné des entrevues dans la foulée de l’annonce de Montréal d’interdire la distribution du Publisac. À l’époque (en 2019), je m’inquiétais de la survie du journal Métro et de ses hebdomadaires. Je les savais tributaires du Publisac pour rejoindre leurs lecteurs et lectrices.
En rétrospective, mes craintes étaient malheureusement fondées.
Soyons honnêtes : les décisions prises au cours des dernières années par les médias n’ont pas toujours été judicieuses, notamment en ce qui a trait à leur présence sur les réseaux sociaux. Jean-Hugues Roy de l’UQÀM affirmait récemment que la publicité ne pouvait plus faire vivre l’information. Désormais leur salut passe par les (bons vieux) abonnements et des redevances provenant des réseaux sociaux.
Avec la loi C-18, le gouvernement fédéral a justement voulu mettre en place un mécanisme de redevances provenant de grandes entreprises américaines propriétaires de réseaux sociaux. La conséquence directe de la loi est que Meta ne permet désormais plus aux gens d’ici d’avoir accès à leurs nouvelles sur Facebook.
Outre l’indifférence de la classe politique aux appels à l’aide du propriétaire du journal Métro, Andrew Mulé, c’est l’interdiction de distribution du Publisac sur l’île de Montréal qui aura été le début de la fin du quotidien et de ses hebdos. Paradoxalement, c’est la loi C-18 qui aura planté le dernier clou dans le cercueil.
Ce sont donc des décisions de gens en politique qui auront provoqué ce gâchis, alors que leurs objectifs initiaux étaient sans doute louables.
Une lente décente aux enfers
La classe politique n’est pas réellement responsable de la lente décente aux enfers des médias. En fait, les raisons qui l’expliquent sont complexes et multiples.
J’ai vu depuis 20 ans des salles de presse être charcutées et des journalistes compétents pressés comme des citrons. Je me suis désolé de lire des rapports qui démontraient que les médias étaient de moins en moins crédibles.
J’ai été exaspéré par la propension des médias à parler des mêmes sujets, mais d’un angle idéologique différent. J’ai lu un nombre grandissant d’enquêtes supposément fouillées qui omettaient de répondre correctement aux cinq questions fondamentales du journalisme.
J’ai ressenti une grande déception lorsque j’ai pris connaissance des intentions d’un grand groupe médiatique qui souhaitait que le CRTC réduise son obligation de produire des nouvelles locales. J’ai aussi été consterné de voir des gens de la classe politique d’ici et d’ailleurs s’en prendre à des journalistes simplement parce qu’ils sont en désaccord avec les questions qu’on leur pose.
J’ai beau œuvrer du côté des relations publiques, je suis particulièrement sensible à la variété et à la qualité de l’information. Je n’ai pas envie de lire dans 10 ans des communiqués de presse camouflés à l’intérieur d’articles ou de chroniques parce que les médias n’auront plus les moyens de contre-vérifier les informations qu’ils reçoivent
Je me demande même parfois si ce n’est déjà le cas.
Bref, j’ai peur du jour ou on ne pourra plus faire la différence entre une ligne de communication provenant d’une personne œuvrant en relations publiques et une analyse journalistique sérieuse.
Les médias sont loin d’être parfaits, mais cela ne m’empêche pas d’être convaincu que le quatrième pouvoir est l’un des piliers de la démocratie et qu’il mérite d’être sauvé.
Il faudra faire vite puisque son agonie est commencée.
Par Stéphane Lacroix / Le Soleil
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